La résurrection d'un chef-d'œuvre de béton
(Article du Journal l'Union)
Longtemps, ce grand bâtiment brunâtre a été perçu comme une «verrue» par les Rémois. Sa destruction a même été envisagée avant son classement en 1990. La rénovation doit participer à la mise en valeur du patrimoine Art Déco de la ville.
Le lifting des voûtes
La rénovation des bétons est, avec les travaux de maçonnerie, l’un des plus gros lots du chantier de rénovation du Boulingrin. Il est attribué à l’entreprise Lefèvre, référence nationale dans le domaine de la réfection de monuments, en association notamment avec Léon Noël, spécialiste régional.
Le travail consiste à «purger le support» de tous les morceaux de béton prêt à tomber. Un traitement «d’inhibition», sous forme de gel, est appliqué sur les aciers du béton armé devenus apparents. Pour l’heure, il n’y a pas eu de trop mauvaises surprises sur la grande v oûte. Les voûtains (les petites voûtes situées au-dessus des mezzanines) ont davantage souffert des intempéries.
La rénovation est technique mais aussi esthétique. Le béton rénové doit respecter l‘aspect originel qui laissait apparaître les empreintes du bois de coffrage. L’extérieur de la voûte sera peint avec un revêtement étanche de couleur grise. La partie intérieure de la voûte sera recouverte d’un badigeon dans les tons crème comme à l’origine.
Une partie de la voûte extérieure est déjà restaurée.
Rénovation-innovation
Le cadre des verrières est en béton fibré à ultra-hautes performances. Il a fallu une appréciation spéciale pour l’utiliser.
La rénovation du Boulingrin perpétue l’effort d’innovation qui a prévalu à sa naissance. Un béton fibré à ultra-hautes performances (BFUHP), léger et résistant, est utilisé de façon inédite pour l’encadrement des vitrages des grandes verrières.
À l’origine, l’encadrement était en béton armé dont la structure métallique s’est oxydée prématurément. Pour mettre en œuvre le BFUHP, l’entreprise Partner Engineering de Cormontreuil, partenaire de la société MGB (Saint-Brice-Courcelles) chargée de la restauration des verrières, a obtenu une «APEx» (appréciation technique d’expérimentation) du Conseil supérieur technique du bâtiment (CSTB). Partner Engineering fournit pour l’entreprise Cari, adjudicataire de la maçonnerie, les grandes plaques vertes situées au-dessus des portes. Elles sont en «composite ciment verre». C’est un subtil mélange de sable siliceux, de fibre de verre minéral, de polymère acrylique et de liants hydrauliques teintés dans la masse.
Les faux plafonds sont de la même matière.
La Ville de Reims a obtenu de l’architecte en chef des Monuments historiques de créer deux surfaces commerciales nouvelles. Elles seront attribuées à des restaurants ou des bars développés autour d’un thème culturel.
De l’avant-garde à la dégradation prématurée
La construction de la voûte a nécessité la création d’un ingénieux système de «coffrage-décoffrage sur cintre glissant».
Les «nouvelles» halles centrales du Boulingrin sont nées en 1929. Ses innovations ont attiré des amateurs d’architecture de tous les pays. Leur architecte est Émile Maigrot, lauréat en 1923 d’un concours lancé par la ville. Mais les prouesses techniques qui ont fait l’admiration de la profession proviennent de l’entreprise Limousin, adjudicataire du gros œuvre, et plus particulièrement de son illustre ingénieur Eugène Freyssinet. Il invente un système inédit de «coffrage-décoffrage sur cintre glissant» qui permettra d’ériger une grande voûte, exempte de tout pilier, d’environ 20 mètres de haut, 39 mètres de large sur 100 mètres de long.
Bombardé pendant la Seconde Guerre mondiale, l’édifice résiste mais les vitres originelles, en verre armé de couleur jaune, comme dans les anciens hangars des dirigeables d’Orly, sont détruites. On les remplace par du double vitrage, enserrant une feuille d’isolant, qui, conclura-t-on plus tard, est à l’origine d’un important déséquilibre thermo-hygrométrique. Attaqué par une importante condensation, le béton se dégrade prématurément. Des morceaux tombent et il faut poser un filet de sécurité dès 1959. C’est le début d’une lente dégradation qui conduira à la fermeture des halles au public en 1988. Classé monument historique en 1990, le processus sinueux menant au lancement de sa rénovation durera vingt ans.
Un temps, on a voulu en faire un nouveau musée des Beaux-Arts. Puis s’est posée la question du financement. En 2007, le projet de l’architecte en chef des Monuments historiques, François Châtillon, est adopté. Mais le plan de financement répartissant les dépenses peine à se traduire en actes. L’État s’est engagé à payer mais ne trouve plus les fonds. La partie de cache-cache s’achève lorsque l’équipe municipale fraîchement élue annonce en 2008 la réouverture du Boulingrin pour 2012, mettant l’État au pied du mur.
Le ballet des étals en faïence
Les étals de l’ancien marché se font la malle! Non, l’architecte des Monuments historiques n’a pas décidé de faire une croix sur ces éléments qui, depuis l’origine, habillent un tiers des halles. Mais d’une part pour les rénover et d’autre part pour laisser la place à la forêt de tubes métalliques que constitue l’échafaudage, il a fallu déménager ces meubles délicats.
Dans l’ancienne briqueterie de Champigny, Marzin Entreprise va passer de longs mois à redonner à la quarantaine d’étals et de paillasses le lustre perdu ces dernières décennies. Les briques de faïence des jambages et les carreaux de faïence des murets vont être rejointoyés, les parties abîmées seront remplacées. Certaines de ces pièces seront récupérées à divers endroits du bâtiment, d’autres commandées auprès d’un fournisseur, les Céramiques du Beaujolais, qui perpétue la tradition des ateliers de céramique. Par ailleurs, l’entreprise de la Zac de Murigny a démonté tous les anciens carreaux de sol de la partie marché. Les quelque 50.000 piè ces de grès seront nettoyées puis reposées. Avant, le sol aura subi un traitement d’étanchéité. «C’est un travail d’archéologue», commente Frédéric Huther, directeur de l’entreprise engagée sur un chantier inédit pour elle.
Les étals ont été démontés pour subir une cure de jouvence.
Ferronnerie: du grand art
Dans l’atelier de Mazingue à Jonchery.
Le Boulingrin représente le plus grand chantier jamais conduit par Patrick Mazingue, ferronnier d’art de Jonchery-sur-Vesle. Il a en charge la réfection de pas moins de vingt-cinq grandes portes à barreaudage, de deux belles portes vitrées dans le plus remarquable style art déco, de 400 mètres de mains courantes et de 300 mètres de garde-corps. Il remettra aussi à neuf les crocs de boucher…
Patrick Mazingue, dans le métier depuis trente ans, apprécie la qualité des pièces. Les grandes portes sont assemblées de façon traditionnelle, sans soudure. Les barreaux de métal plein sont goupillés sur les traverses. Sur les vingt-cinq grandes portes, cinq sont nouvelles, les vingt autres sont rénovées. Un traitement de surface important est nécessaire. Les portes doivent en principe retrouver leur couleur verte originelle, alors qu’elles avaient été repeintes en noir par la suite.
Modeste, Patrick Mazingue s’étonne encore qu’on l’ait choisi au milieu de concurrents nationaux voire européens. On a pourtant vu sa PME de douze personnes sur les plus beaux chantiers: l’arc de Triomphe, les grilles de Notre-Dame de Paris, les jardins du Trianon à Versailles. Récemment, il a refait l’une des grandes verrières du familistère de Guise.
L’avenir de la «deuxième cathédrale» de Reims
Désaffectées pendant trente ans, les halles centrales du Boulingrin étaient devenues une «verrue» que beaucoup de Rémois ne voulaient plus voir. Avant le classement de 1990, il fut même question de raser cet énorme bloc de béton désaffecté. Sa rénovation prochaine et la renaissance de ses activités entrent dans un processus de redécouverte et de mise en valeur du patrimoine architectural art déco de la ville des Sacres. «On dit que c’est la deuxième cathédrale de Reims, je trouve que ce n’est pas exagéré», déclare Serge Pugeault, adjoint au maire de Reims chargé l’économie et de la culture. Que sera le nouveau Boulingrin? Il accueillera à nouveau un marché, au moins une fois par semaine. Mais, malgré son acoustique difficile, ce grand espace pourra accueillir, de façon éphémère, des spectacles, des rencontres sportives, des défilés de mode ou des expositions. La capacité de 4.000 personnes permettra de pallier l’absence de grande salle en ville. La mezzanine pourra accueillir des expositions, et l’ancienne boucherie, à l’étage également, deviendra un bar. La fin des travaux est annoncée pour le 12 février 2012. En principe, car un chantier reste un chantier…
Le Boulingrin sera aussi l’une des pièces d’un nouveau quartier «qualitatif», défini dans le programme Reims 2020, restant ancré dans ses traditions de commerce de bouche et de magasins d’art.
Le Boulingrin attend un voisin pour 2016. C’est sur l’actuel parking aérien qui lui est attenant que l’on projette de construire le nouveau musée des Beaux-Arts de Reims.
31,6 millions d’euros
Le budget de la rénovation, 31,6 millions d’euros, se décompose de la façon suivante:- Ville de Reims: 17,8 millions d’euros.- Ministère de la Culture / Drac: 8,6 millions d’euros.- Conseil régional de Champagne-Ardenne: 4,7 millions d’euros.- Ministère de l’économie / Fisac: 388.000 euros.
Inauguration Vendredi 14/09/2012
1er Marché Vendredi 21/09/2012
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